Daddy Nuttea - Retour Aux Sources
Label: Delabel
Année: 1996
Les années passent mais ne se ressemblent pas ! Certes l'expression peut paraitre quelque peu légère pour qualifier à elle seule le parcours atypique de Nuttea néanmoins elle révèle à sa manière une carrière déjà bien accomplie où le succès d'estime des 90's a laissé sa place à un succès grand public indiscutable.
Loin de moi l'idée de comparer ces deux époques profondément différentes, ni même d'ouvrir un débat stérile sur l'authenticité artistique, mais force est de constater que la réussite commerciale des derniers albums de Nuttea témoigne d'une ouverture musicale évidente l'éloignant inévitablement de son style original.
Face à cette évolution, certains auront peine à cautionner avec autant d'ardeur cet artiste dont le talent déborde à vu d'euil. En effet, les titres très médiatisés tels que "Trop Peu De Temps" ou "Elle Te Rend Dingue" peuvent parfois décevoir, ou du moins faire regretter le temps où l'agitateur réveillait le tout Paris. Ah ! Nostalgie quand tu nous tiens...
Car avant de squatter les 1ères places des charts, Nuttea, ou plutôt Daddy Nuttea pour être exact, était un pur produit underground des soundsystems parisiens, faisant ses classes successivement au sein du High Fight International, puis du Ghetto Youth, et enfin du Stand Tall soundsystem aux côtés de Polino, Tip Top, Tonton David et Don Lickshot. Symbole de cette époque, le n┬░ 226 de la rue Vaugirard (15ème arrondissement de Paris) qui fût à la fois lieu de répétition, de passages et accessoirement de soirées pendant 6 ans.
Activiste de la première heure donc, Daddy Nuttea ne tarde pas à se faire un nom dans le milieu.
Ces premières apparitions discographiques se feront en 1991 sur la compilation "Ragga Dub Force" ("Ils En Ont Marre"), puis en 1992 sur "Rapattitude 2" ("Un DJ Parmi Des Millions De DJ's").
1993 marquera la sortie de l'album "Paris-Kingston-Paris" enregistré en Jamaïque, suivi de près par un maxi nommé étrangement "Volume 1" en 1995.
Pourtant, c'est bel et bien avec l'opus "Retour Aux Sources" que Nuttea s'assura une plus grande visibilité. Sorti en 1996 chez Delabel, Daddy Nuttea propose un cocktail explosif de 13 titres enregistrés entre Paname, Kingston et Londres.
Nuttea s'entoure alors de grands noms tels que Leroy 'Mafia' Heywood et Robbie Shakespeare à la basse, Sly Dunbar et Dave 'Fluxy' Heywood à la batterie, Frenchie au mixage et arrangements (ndlr : connu notamment pour son travail avec Raggasonic)... pour obtenir ce qui se fait de mieux musicalement parlant.
L'album commence par une intro en anglais avec un riddim tout droit issu des productions de Clément 'Coxsone' Dod. Le ton est donné, Nuttea affirme son style affûté et conclut par un terrible "Pull up selecta man... We are the boss deejay !" comme s'il voulait remettre les pendules à l'heure.
S'en suit un remix du "Natural Mystic" de Bob Marley. La tâche peut sembler délicate mais Nuttea, accompagné au refrain par le jamaïcain Ritchie Stephens, nous délivre une version très réussie. Posé sur une ligne de basse si caractéristique, il nous décrit "cette force naturelle qui explose dans les airs" et en profite pour exposer sa vision de la foi, son rapport avec le tout puissant ("pas de pape ni de prêtre pour contrôler ma vie, pas de gourou pour asservir mon esprit" ou encore "je crois en dieu mais ne fréquente pas leurs églises").
Vient ensuite le titre "I Don't Want To See You Cry" qui n'est autre qu'une reprise de Ken Boothe aka Mister Rocksteady. L'interprétation est bien entendu plus contemporaine que l'originale de chez Studio One, toutefois les qualités vocales sont évidentes ; l'artiste n'a pas à pâlir de sa prestation sur ce grand classique Oldies.
Puis, on retrouve le morceau "Donne Toi La Peine" dans lequel l'artiste encourage à rester déterminé, à persévérer dans ses convictions ("rudeboy sache que l'ambition est la clef du succès").
Ensuite, "Envie Musicale De Tuer" nous rappelle à quel point Nuttea est issu de la culture soundsystem. Cette tune prend en effet l'allure d'un clash où le deejay défit qui que ce soit de venir l'affronter. Le flow en "style bégaiement" employé sur un couplet mérite d'ailleurs le détour.
Le titre "Les Dix Commandements" ressemble quant à lui plus à un petit délire musical sous couvert d'une audience judiciaire bien particulière... les délinquants n'ont qu'à bien se tenir !
On pourra également retenir en termes de combinaisons un featuring intéressant avec General Degree sur "Who Dem A Try Fi Test" et une véritable tuerie sur fond d'instru Hip-hop avec Akhenaton et Daddy Mory ("Alerte").
Les anciens seront à coup sûr sous le charme du titre "Retour Aux Sources" tant il est évocateur d'une époque (celle où "le Ragga n'était pas si populaire que ça") et d'un état d'esprit ("y'avait pas d'caillasse mais y'avait des kilowatts"). Les souvenirs évoqués ("Papa San était la nouveauté") font de cette chanson, d'une certaine manière, un témoignage historique des premiers pas du Ragga en France.
On retrouve par la suite l'"Agitateur", morceau ambiance sur une rythmique Hip-hop avec même une petite influence West Coast au niveau de la mélodie.
C'est la chanson "La Weed Brûle" qui vient clôturer l'album. Loin de tomber dans la facilité, cet hymne à la ganja ne fait pas l'apologie des drogues douces ("je n'incite personne à fumer mais si elle est interdite faut interdire le tabac") mais avance une vision réfléchie sur le caractère illégal de cette plante.
L'album "Retour Aux Sources" est sans conteste une pièce maîtresse, un pilier de l'histoire du Ragga français qui mérite d'être qualifié d'indispensable, d'incontournable, de classique pour tout amateur qui se respecte ! Evoluant entre toast et chant avec même des passages a capella, l'artiste présente une palette musicale relativement large (sonorités Hip-hop, riddims Ragga, reprises Roots et Rocksteady, etc.). Album de référence donc, qui contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, n'a quasiment pas subi le poids des années et s'écoute avec toujours autant de plaisir.
A conseiller les yeux fermés...
Tracklist :
- Intro
- Natural Mystic
- I Don't Want To See You Cry
- Donne Toi La Peine
- Envie Musicale De Tuer
- Les Dix Commandements
- Interlude (Part. 1)
- Who Dem A Try Fi Test
- Retour Aux Sources
- Interlude (Part. 2)
- Agitateur
- Alerte
- La Weed Brûle