Label: Sekel Productions / Sony Music Entertainment
Année: 2002
Si l'album Yon Pa Yon révéla Yaniss Odua au grand public, il serait maladroit de notre part de ne pas rafraîchir les mémoires collectives, et de ne pas rappeler succinctement à nos chers lecteurs les débuts pour le moins précoces de ce jeune artiste qui n'en est pas à ses premiers coups essais.
C'est en effet en Martinique, au début des années 90, que Yaniss Odua forgea son style et sa technique ; et c'est tout naturellement avec son cousin Daddy Harry¹ et le sound system AC Tone² qu'il fit ses premières armes. Surnommé à l'époque par ses pairs Little Yaniss (en raison de sa juvénilité), c'est en 1992 qu'il sort son premier opus éponyme (sur JE Production) et connait ses premiers succès. Little Yaniss n'a alors que 13 ans et entame officiellement sa carrière ; vous avez dit précoce ? Inconnu en France, il se construit pourtant une sacrée notoriété aux caraïbes grâce à des tubes tels que "Crime" sur le riddim avec Junior Lee (compilation Dancehall Party du label Hibiscus en 1994) ou encore le titre "America" (appelé également "Bad Boy You") en featuring avec la chanteuse martiniquaise Little Sista (compilation Red Zone volume 1 sortie en 1997) pour ne citer qu'eux. Parallèlement il s'essaye même en tant qu'animateur de radio (RFO) et de TV (sur une chaîne locale).
Mais, cette reconnaissance, aussi méritée soit-elle, reste "limitée" au marché Antillais. De ce fait, la Métropole apparaît comme un passage inévitable pour donner une plus grande dimension à sa carrière artistique. En 1998, Little Yaniss quitte "l'île aux fleurs" et s'installe à Paname, où bien entendu tout reste à reconstruire.
C'est par des prestations remarquées en soirées et soundsystems que Yaniss se fera un nom et s'imposera progressivement comme une figure montante avec laquelle il fait bon de s'afficher (il sera invité à partager la scène avec des artistes comme Joey Starr, Pierpoljak, Lord Kossity, Daddy Mory, etc.).
Toutefois s'il fallait retenir un moment clef, c'est sans doute sa rencontre avec le vétéran Tippa Irie. L'enregistrement du titre "Make A Dupie Yet" sur l'album "I Miss" (sortie en 2000 sous le label Jahmin') apporta un petit coup de boost à sa carrière. Pour cette occasion, maturité oblige, Little Yaniss s'efface et laisse sa place au désormais expérimenté et respecté Yaniss Odua.
L'année 2002 marquera un tournant dans la carrière de Yaniss Odua grâce à la sortie de son deuxième album solo. L'opus "Yon Pa Yon" ("Un par un" ou encore "pas à pas" en créole) propose 14 titres écrits en totalité par Yaniss Odua et composés par Boussad Badji, Edwin Mac Lennan et Garry Baron.
En guise de prélude, on retrouve le titre "Praise", qui glorifie logiquement Jah Rastafari, et dans lequel l'artiste revendique clairement son appartenance au mouvement spirituel rasta. Mais au-delà de ses convictions religieuses, Yaniss Odua est avant tout un chanteur engagé qui utilise la musique comme un moyen de diffuser des messages. Le morceau "Se Poko Sa" entre pleinement dans cette logique puisqu'il dresse un état des lieux critique du monde dans lequel nous vivons. Beaucoup d'aspects négatifs y sont abordés tels que l'inévitable recours à la vente de stupéfiants pour tenter de s'en sortir, la douleur éprouvée par les mères qui "perdent leur progéniture"... A travers cette chanson, le singjay nous délivre une approche réaliste des vices et engrenages qui caractérisent notre société et qui frappent de plein fouet une jeunesse impuissante et déseuuvrée. Cette analyse sera d'ailleurs approfondie avec la tune "Mal Au Ceuur" dont le thème développé n'est autre que la précarité. Le jeune martiniquais nous rappelle alors que la misère, qui n'épargne personne ("le sort est horrible et aussi imprévisible que tu peux être la cible"), résulte bien souvent d'un malheureux enchaînement de circonstances (licenciement, perte de logement, difficultés pour se nourrir, etc.) et abouti à l'exclusion et au mépris.
Si certains d'entre nous considèrent que ces sujets ont déjà été depuis longtemps exploités par un grand nombre d'artistes, ils seront surpris de découvrir que Yaniss Odua ne fait pas que dans le "déjà vu, déjà entendu". En effet, le titre "Une Larme" a le mérite de s'attaquer à un thème encore tabou en musique et pourtant tellement d'actualité : la maltraitance des enfants. ("je ne peux dire l'effet que ça fait de voir devant toi arriver une petite bien amochée par son père qui veut faire profiter quelques uns de ses alliés...").
Le morceau "La Caraïbe" (sorti en 45 tours et sans doute le plus connu) se distingue également par son originalité lyricale et sa façon d'appréhender une identité caribéenne fondée sur l'esclavage ("La Caraïbe ne nous appartient pas, on a jamais dit ça, c'est uniquement pour travailler qu'on nous a emmené là").
"Jusqu'où l'Homme Va Aller" dénonce quant à elle les dérives liées à la recherche et à sa finalité. Beaucoup d'argent n'est pas utilisé à bon escient et l'on peut regretter que la recherche s'écarte parfois des réels besoins de l'humanité (famine, maladies incurables, etc.).
Mais l'album "Yon Pa Yon" n'est pas uniquement un récital de morceaux engagés. Il offre aussi des chansons plus festives comme par exemple "Long Time" interprété avec Matinda, ou encore "Elle Va Partir" en featuring avec Straïka D dans lequel chacun se défend d'avoir la meilleure technique pour conserver sa bien aimée. Lover versus dragueur, le débat est ouvert...
Cet album concrétise de fort belle manière les années de travail et d'efforts fournies, et confirme de façon remarquable un talent artistique né il y a déjà plus de 10 ans.
Album qui se veut accompli et réfléchi, il apparait nettement que le jeune Martiniquais ait mis beaucoup d'application et de sérieux dans son élaboration. Le résultat est incontestablement à la hauteur de ce que l'on aurait pu attendre de ce prodige du Reggae Dancehall. Influences musicales multiples, textes conscious, accessibles et travaillés, voix compréhensible et tellement singulière, riddims mélodieux... autant d'arguments qui en font un album référence.
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¹ reconnu comme un des précurseurs du Reggae Dancehall à Madinina, il joua notamment au célèbre festival jamaïcain Reggae Sunsplash et sorti avec Don Miguel un des premiers albums Dancehall où l'on retrouve d'ailleurs le fameux titre "L'Automatique".]title="Retour à la note 1 dans le texte" href="#ref1">
² où l'on retrouvera, entre autres, Lord Kossity, Matinda, Docteur Charly et Daddy Pleen.
Tracklist :
- Praise
- Se Poko Sa
- Mal Au Ceuur
- Long Time feat. Matinda
- On Your Mark
- La Caraïbe
- Une Larme
- Chaud n'Happy
- Elle Va Partir feat. Straïka D
- Let Me Take A Lift
- Viens Avec Moi
- Prends Garde A Toi
- Jusqu'où l'Homme Va Aller
- Kick It Again