Sister Aïsha
Bienvenue et merci de m'accorder ton temps
Aisha: En fait je suis ravie d'être parmi mes seuurs ici même en France, tu vois.
C'est un plaisir que j'attendais depuis longtemps.
Je crois que tu as commencé très jeune avec le soundsystem de ton père, vers quel âge ?
Aisha: Il serait difficile de dater ça précisément mais tout ce que je peux dire c'est que, enfant, j'ai grandi à travers les soundsystems, car à cette époque ma famille était impliquée dans le fait de cultiver l'esprit de la communauté dans des soirées, donc j'ai vraiment commencé de manière naturelle, inconsciemment, en entendant de la musique à la maison, chanter sur les disques ! Oui c'est ça : chanter par dessus les disques ! Et vers 16 ans je suis devenue plus professionnelle, avec Capital Letters ("Smoking My Ganja") pour qui j'ai fait les cheuurs, pas sur tous les morceaux. En fait, j'ai remplacé une sister enceinte à ce moment là, pour le 7'' puis j'ai travaillé avec eux jusqu'en 1981. Oui c'est ça : de 79 à 81.
As-tu grandi dans une famille rasta ?
Aisha: Naturellement, pour moi rasta était une façon de vivre. En fait, c'est drôle, c'est une question profonde. Quand tu dis rasta, en fait, ça dépend de la profondeur que tu donnes à ce mot, qu'est ce qui fait un rasta, comment peut-on définir rasta ? Tout ce que je peux dire c'est que la musicalement oui...
Ma question porte plus sur la livity, tes parents sont ils rastas, respectant une certaine ligne de conduite, enseignant la conscience, etc ?
Aisha: De toute façon, à travers la musique j'ai baigné dans les chants, les plaintes, les pleurs à travers les disques, et j'ai vraiment été touchée par les sentiments, les émotions et les humeurs des gens. Pourquoi sommes nous constamment en train de suppliquer : les Maytals, Jimmy Cliff, Bob Marley, les sessions Blue Beat... Des tas d'artistes à cette époque, les disques que l'on aimait exprimaient des ressentiments, alors, naturellement j'ai découvert mes racines, je me suis réellement découverte, d'où je venais, mon héritage. La musique véhicule des tas de choses, c'est le moyen d'exprimer l'humeur effective d'une situation donnée à un moment donné, et pour moi, rasta c'est juste une manière naturelle de vivre et dÔÇÿidentifier ma culture, mes racines, ma vie (rires) en tant que femme !
Quels artistes t'ont le plus inspiré ? Qui t'a particulièrement donné envie de chanter ?
Aisha: Oh ! Il y en a tellement ! En fait, je ne pourrais même pas dresser une liste ! Mais sérieusement, j'ai écouté de tout. J'ai écouté Patty Page, une artiste des années 50, j'ai écouté les artistes Motown, Philadelphie, toute musique qui est spirituellement vivante. Shirley & Lee dans les années 50 avant même Marcia et Judy Mowatt ont tous eu une grande influence. Les I-threes ou Aretha Franklin et je pourrais continuer ! Ce sont surtout des femmes qui ont laissé leur empreinte.
Comment expliques tu que les femmes n'aient pas la place qu'elles méritent dans le business et qu'elles aient moins accès aux médias ? Beaucoup sont très peu connues ?
Aisha: C'est triste nÔÇÿest ce pas ? Je ne vais pas te mentir (rires), je ne vais pas être assise là et donner de fausses illusions : bien sûr c'est dur ! C'est une industrie à prédominance masculine, et au final il y a plein d'artistes femmes mais on ne voit quasiment pas de femmes producteurs, ni responsables de labels.
Il y a ce groupe en Angleterre 100% femmes : Sista Women In Reggae (www.myspace.com/sistawomeninreggae).
Aisha: Sista Kush aussi (www.myspace.com/jenakush) ! J'ai fait partie de ce groupe un moment, pas longtemps. Le concept est bon ! Il faut générer plus de live ! Il faut encourager les femmes à prendre des musiciens, à prendre les instruments et jouer, devenir productrice, être partie prenante, se renforcer et ne plus être superflues. Ne vois là aucun manque de respect pour les hommes, car on a besoin des hommes, mais on devrait pouvoir renforcer l'influence des femmes et pouvoir aussi transmettre à la prochaine génération.
Toi qui a joué dans ce groupe composé exclusivement de femmes, ça ne doit pas passer inaperçu, quelle est la réaction du public : surpris ? Enchanté ? Dubitatif ?
Aisha: Le concept était de montrer l'unification entre les femmes. Et c'est sûr que le public, les femmes en particulier, était plutôt étonné. C'est quelque chose qu'ils n'avaient jamais vu ! Mais la réalité est que financièrement pour maintenir la chose haute, tout ça a un coût, c'est un budget. Mais je suis sûre qu'elles sont toujours actives à 100% et qu'elles continuent sur leur voie. Et c'est une bonne chose ! Elles représentent les femmes qui jouent réellement de la musique, qui chantent, produisent et sont visibles. C'est bien ce qu'elles font !
As tu des enfants ?
Aisha: (rires) Et comment ! J'ai 3 adorables garçons : un de 26, un de 24 et un de 23 ans !
Mais tu as l'air très jeune pour une mère de grands gars comme ça !
Aisha: Par la grâce du Tout Puissant ! Il m'a donné en abondance la force et la détermination, la loyauté et l'amour ! C'est tout ce que je peux dire !
Donc tu chantais déjà quand ils étaient gamins ? Comment tu faisais cohabiter tes casquettes de chanteuse et maman ?
Aisha: Je ne vais pas te mentir : ce n'est pas facile ! Il faut être une mère, une fille, une seuur, une guerrière ! J'avais des seuurs dans la même situation donc on s'est aidées. J'en suis reconnaissante maintenant, c'est grâce à ça que le travail a pu continuer, ils l'ont compris et ils le savent.
As tu eu l'occasion de jouer sur tous les continents ?
Aisha: Je me la pète si je te dis que je suis allée partout (rires) ?
Je voulais dire...
Aisha: (elle coupe) Ne le prends pas au premier degré, je suis sarcastique ! Si je devais épingler tous les endroits où j'ai joué se serait plutôt en terme de "combien d'endroits ai je eu la bénédiction de pouvoir visiter ?".
As tu ressenti de sensibles différences dans les audiences ? Particulièrement entre anglophones et non-anglophones ?
Aisha: Si je suis vraiment sincère avec toi, j'aurai tendance à dire que chaque show est un nouveau show pour moi. Peu importe où je vais. Je pense que même si tu vas là où les gens ne savent pas de quoi tu parles dans tes chansons, ils le ressentent. Ils ressentent la puissance à travers la musique. Alors peu importe ce que tu chantes, ils savent qu'il y a une force derrière cette musique.
Quels sont tes souvenirs de ta prestation à Nairobi ?
Aisha: Oh ! C'était le paradis ! Je touchais le sol africain pour la première fois ! J'ai ressenti le Motherland, c'était tangible ! Rien que d'y être !
Et là, j'ai été touchée de voir ce que j'ai vu ! Des gens la faim au ventre, voulant écouter la musique ! Je ne l'oublierai jamais ! Jamais je n'oublierai la sensation que j'ai eu là-bas. Et je suis reconnaissante d'avoir eu toutes ces opportunités... Voir ces choses, ça me fait avancer.
As tu des projets d'enregistrement ou de tournées ?
Aisha: Il y a des choses en perspective et je suis dans une vibe créative en ce moment donc faut que je trouve du temps pour travailler avec Jah pour qu'il me donne les mots. Enfin, je veux dire par là que je suis dans l'écriture en ce moment.
J'ai demandé autour de moi quelle question voudrait on que je te pose, celle qui est revenue le plus souvent a été : quand viendras tu jouer à Paris ? Alors je me fais leur voix : à quand une date à paris ?
Aisha: (rires) Dis leur de prier pour ça ! Je pense que si ils attendent un peu, ça se fera. J'y passe parfois, surveillez les programmations.
Et toi, aurais-tu une question à me poser ?
Aisha: Comment ressens tu le fait de vivre à Paris ou en France? Quelle est l'humeur française de la culture ?
Je dois avoir reconnaître que le Reggae et sa culture prennent de l'ampleur. De plus en plus de gens cherchent à connaître, à comprendre les textes. Et ceux qui ne comprennent pas l'anglais se renseignent. J'ai le sentiment d'une "conscientisaton", que quelque chose de profond se passe. Je me sens moins seule qu'il y 15 ans !
Aisha: Eh ! C'est cool ! C'est plutôt une bonne nouvelle. C'était une question honnête et j'ai eu une réponse sincère. C'est vrai que c'est important de savoir comment les gens reçoivent tes vibes.
On a commencé quelquechose de bien qui continue de grandir. On ne pourra pas l'arrêter, c'est devenu universel.
En tout cas merci de m'avoir donné de ton temps, je me suis régalée en ta compagnie, et je suis sûre que l'on se reverra... pourquoi pas à Wolverhampton puisque tu as des attaches là-bas (rires) (ndlr: ville d'origine de Sista Aisha)
Merci à toi ! Je viens de passer une merveilleuse soirée.